Interview avec Gilbert MANCIET, Directeur Général de La Réunion Développement, et ses deux collaboratrices certifiées à la méthode Circulab, Véronique STERN et Véronique LEUNG

La Réunion Développement a récemment rejoint la Communauté Circulab pour favoriser l’émergence de solutions circulaires et résiliantes sur le territoire. Dans cette interview nous sommes allés à la rencontre de leurs équipes pour mieux comprendre les enjeux et les dynamiques de la transition sur ce territoire insulaire.
Quelle est la raison d’être et l’activité de La Réunion Développement ? Qu’est-ce qui vous distingue d’autres acteurs d’accompagnement ?
[Gilbert Manciet (G.M.)] : La Réunion Développement est l’Agence Régionale de Développement Economique de la région Réunion.
Ses missions sont axées autour des piliers :
- L’analyse des données économiques pour établir des notes de conjonctures et sectorielles afin de donner aux décideurs politiques et économiques des aides à la décision
- Répondre aux besoins de structuration des filières prioritaires de la stratégie régionale, au travers de l’intelligence collective et de l’ingénierie financière
- Porter la marque « La Réunion » pour développer l’attractivité du territoire et accompagner l’internationalisation des acteurs économiques
En transversal, les axes transition écologique et financements compétitifs européens sont également portés au profit de l’écosystème.
L’Agence agit à la fois en mission d’intérêt général et sous forme de prestations, de par son statut de Société d’Economie Mixte.
Les filières prioritaires relèvent des domaines de l’agroalimentaire, du numérique, des énergies renouvelables, du bâti-tropical, économie bleue, tourisme, économie du « Care », aéronautique-drone et les industries de l’image (cinéma, jeu vidéo, audiovisuel).
L’Agence souhaite insuffler un nouvel élan pour le développement économique de l’île afin qu’il assimile avec compétitivité et résilience les grandes mutations économiques, technologiques, géopolitiques, sociétales et environnementales à venir. Nous portons une attention particulière à valoriser les ressources locales, renforcer les capacités structurelles et financières des entreprises et rendre les projets soutenables pour le territoire.
Du fait de son positionnement géographique, son caractère insulaire et le développement historique de ses infrastructures, La Réunion fait face à de nombreux défis, quels sont-ils ? Quelles sont les spécificités que vous devez prendre en compte dans les accompagnements des acteurs du territoire ?
[G.M.] : Les défis sont nombreux. D’un point de vue économique, le caractère insulaire pose certaines contraintes à nos entreprises : la dépendance à l’importation, la prise en compte des délais de logistique d’approvisionnement (je pense aux matières premières ou aux emballages). Le sourcing fournisseur dépend également des routes maritimes et des coûts associés aux transports : cela ne permet pas toujours certains choix vertueux.
La proximité avec la zone Asie n’est pas toujours un choix positif car les fournisseurs ne disposent pas de label ou des réglementations environnementales recherchées ou imposées. La production locale est souvent plus chère que l’importation, paradoxalement. Les déchets se placent sur la deuxième marche du podium des produits exportés après la canne à sucre. Les filières de recyclage se développent mais toutes ne sont pas encore en place.
Il faut comprendre que les investissements et machines sont souvent surdimensionnés pour un territoire comme La Réunion. Il y a également des choix stratégiques quant à l’enfouissement, l’incinération ou la valorisation sous forme énergétique, le tri et revalorisation matière ou encore l’exportation de déchets. Les taxes à l’entrée du territoire des produits les plus polluants sont aussi des solutions et leviers d’actions.
D’un point de vue sociétal, les tendances à la hausse de l’intégration de l’environnement dans les actes d’achat ou l’amélioration des comportements de tri sont en cours de développement. Les prises de conscience s’améliorent avec la génération montante. Le niveau social hétérogène, avec un taux de pauvreté de 36 % (15% en hexagone) conditionne le critère prix comme élément principal. L’usage de ressources locales tend à se développer avec du réemploi et de la réutilisation, pratiques en cours de développement.
Le caractère insulaire exacerbe notre vulnérabilité environnementale assurément. En agriculture, par exemple l’usage de produits phytosanitaires peut polluer les sols et la mer trop durablement. Les choix des uns ont un impact sur les autres : sur l’ensemble d’une chaine d’activité, le territoire et les habitants. Ce regard global mérite d’être partagé pour une meilleure acculturation par les différents acteurs.
L’économie circulaire constitue un enjeu majeur pour renforcer la résilience économique, réduire nos facteurs dépendants, minimiser les impacts négatifs sur l’environnement, préserver nos ressources et sauvegarder la santé des réunionnais. Les décideurs publics et privés en ont pleinement conscience.
Il nous faut désormais renforcer la résilience de nos entreprises pour qu’elles puissent surmonter les crises, préserver l’emploi local et préserver ou régénérer la nature dans laquelle nous sommes ancrés, 40% de l’île étant d’ailleurs classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Les habitants qui sont aussi des consommateurs et des actifs sont conscients de cette qualité de vie. L’économie circulaire dans sa définition même vise à préserver le bien être des individus et je m’inscris pleinement dans cette dynamique avec mes équipes.
Depuis 3 mois, l’Agence La Réunion Développement est fière d’être la 1ere structure membre de la communauté Circulab à La Réunion et dans la zone océan Indien. Deux collaboratrices sont certifiées Circulab : Véronique Stern et Véronique Leung, qui mènent des actions de transition écologique et d’accompagnement des entreprises engagées depuis 3 ans.
Mesdames, pourriez-vous vous présenter chacune en quelques mots et nous parler de vos parcours ?
[Véronique Stern (V.S.)] : Je suis Véronique Stern en charge de l’accompagnement des filières et projets. Je suis également facilitatrice en intelligence collective. Après un parcours professionnel réalisé aux côtés de l’Etat pour soutenir et financer les projets innovants des entreprises, j’ai intégré l’agence régionale pour élargir mes champs d’intervention (au-delà du financement) et répondre aux besoins des entrepreneurs. J’aime apporter mes compétences en analyse de projet, choisir les outils les plus pertinents pour conseiller les entrepreneurs. J’aime améliorer les produits et les services, imaginer et concevoir des solutions à la fois pour améliorer les usages (design thinking) mais aussi les impacts environnementaux.
Depuis 2023, je suis facilitatrice en intelligence collective ce qui est un vrai plus pour instaurer des logiques coopératives gagnante-gagnante utiles à l’instauration de boucles et partenariats circulaires. J’aime également créer des évènements ou ateliers qui répondent aux besoins et enjeux sociétaux que j’ai pu identifier. Chez La Réunion Développement, j’ai pu concevoir des programmes d’accompagnement en éco-conception, sur les business model circulaire, sur le design de service et design thinking par exemple. Mes expertises : l’agroalimentaire, l’intelligence collective, le design, l’économie circulaire et l’éco-conception.

[Véronique Leung (V.L.)] : Je suis Véronique Leung, chargée de mission transition et facilitatrice. Après une expérience passée au service de la coopération franco-chinoise, j’ai souhaité participer à un nouveau challenge dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies régionales d’innovation et de développement économique. Dans ce cadre, j’ai pu faciliter les mises en relation et animer un réseau d’une centaine d’acteurs.
Depuis 5 ans, j’organise des actions de sensibilisation sur les business model circulaires et accompagne des porteurs de projet dans leur démarche de transition avec comme levier l’économie circulaire. En parallèle, je contribue à la mise en œuvre du plan régional d’actions en économie circulaire et facilite le travail en groupe entre les acteurs économiques et acteurs publics.
Quelles sont les opportunités offertes par la transition aux acteurs économiques de la Réunion ?
[V.S.] : La « pensée circulaire » permet aux acteurs locaux de concevoir ou re-concevoir leur activité avec les autres activités déjà en place, avec les ressources disponibles et en intégrant davantage les enjeux sociétaux. Les avantages sont donc nombreux : développement d’activités nouvelles, baisse des coûts d’importation ou de production, mutualisation des ressources, bien être des salariés par des approches plus locales.
L’enjeu pour le territoire est assurément la création d’emploi et la montée en compétence des salariés à travers l’émergence de nouvelles activités. Celles-ci peuvent par exemples, mieux valoriser des « ressources-déchets » ou mieux intégrer l’environnement à travers l’usage de ressources naturelles qui peuvent se régénérer ou locales. Consommer avec sobriété en gardant un développement économique peu impactant sur l’environnement est donc l’ambition à porter.
Une entreprise qui s’engage dans une transition écologique peut développer des produits de haute valeur ajoutée et atteindre des marchés hauts de gamme locaux ou extérieurs. La Réunion jouit d’un rayonnement international positif qui pourrait être renforcé par le portage d’un engagement environnemental encore plus fort.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’accompagnement que vous avez mené avec les outils Circulab ?
[V.L.] : Entre 2021 et 2023, nous avons mené plusieurs actions conçues avec quatre membres de la communauté Circulab : Florian Cezard, Anne Brisacier, Hélène Guehenneuc et Annabel Hary.
Ce sont donc au total 11 ateliers de travail (dont 8 en distanciel) avec 72 porteurs de projets et dirigeants qui ont été menés. Nous avons accompagné de manière plus approfondie sur leur modèle d’affaires circulaire 28 entrepreneurs. Les taux de satisfaction ont été à 92 % de « Très satisfait ».

Voici deux exemples, dans le secteur agroalimentaire :
- Une entreprise qui propose des produits végétaux à base de soja a suivi à l’Agence deux parcours complémentaires : un parcours ciblé en éco-conception puis l’autre sur son modèle d’affaires pour mieux intégrer les principes de l’économie circulaire. Cela lui a permis d’avoir de nouvelles idées d’actions notamment pour valoriser des co-produits de fabrication ou diversifier son activité vers une alimentation végétale plus largement.
- Une entreprise qui propose des glaces en cornet a pu, grâce aux outils Circulab, mette à plat sa chaine de valeur et ouvrir de nouvelles réflexions et boucles circulaires. Des idées sur le réemploi des bâtonnets ont émergé en lien avec le secteur de l’agriculture pour du paillage, des partenariats nouveaux ont été évoqués notamment dans l’économie sociale et solidaire, le changement d’emballage a aussi été envisagé avec dans le viseur le zéro déchet et la sobriété énergétique.
Nous avons aussi accompagné deux start-ups dans le domaine de la cosmétique dont une a pu travailler sur ses emballages primaires et secondaires en matières recyclées et recyclables et des solutions moins impactantes ont été imaginées notamment sur le sujet du vrac et du transport.
Enfin, le secteur numérique était aussi présent, avec l’accompagnement de deux porteurs de projet d’activités différentes qui ont pu aller davantage vers du reconditionnement, de la réparation, voire de la maintenance préventive, de la revente de pièces, et pourquoi pas vers de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération.
Comment se déroulent vos accompagnements aujourd’hui et quelle nouvelle valeur ajoutée cherchez-vous à insuffler dans vos programmes avec la méthode Circulab ?
[V.S.] : Nous connaissons bien la méthode Circulab qui a déjà été testée et approuvée pendant 3 ans. Cette année, nous sommes heureuses d’avoir renforcé nos compétences et pu rejoindre la communauté Circulab avec qui nous échangeons régulièrement.

L’agence souhaite désormais proposer cet accompagnement Circulab au fil de l’eau alors qu’autrefois c’était sous forme d’évènement donc trop ponctuellement. Or les besoins sont réguliers. Nous allons donc pouvoir accompagner les entrepreneurs des différents filières clés du territoire avec des accompagnements beaucoup plus approfondis et avec un suivi plus régulier des projets nous permettant de mieux mesurer les impacts des recommandations émises et des améliorations sur les business models. Le prochain atelier est d’ailleurs fixé au 3 décembre prochain.
L’analyse des chaines de valeur des filières est un élément que nous souhaitons développer et qui est en cours. Enfin, renforcer selon les projets, les liens avec les acteurs des pays de la zone océan Indien est aussi une piste à considérer au titre du partage des bonnes pratiques, notamment.
Quelles sont vos ambitions en tant que membres de la communauté Circulab ?
[V.S. et V.L.] : Notre ambition en tant que membre de la communauté Circulab est d’abord de pouvoir mieux suivre le contexte et les tendances, nationale et internationale dans ce domaine environnemental et d’échanger régulièrement avec des experts situés dans différents contextes. Le réseau Circulab est très qualitatif et diversifié. Nous avons besoin de ce lien extérieur régulier et des échanges proposés dans la communauté pour alimenter nos réflexions. Pouvoir cibler et faire appel à des experts spécifiques est très intéressant.
Mais nous aimerions aussi pouvoir apporter nos savoir-faire avec des collaborations qui pourraient naitre dans la communauté. La co-construction de programmes d’accompagnement dans d’autres régions avec d’autres experts serait très enrichissante, en tous les cas La Réunion Développement est ouverte à toutes collaborations !
Notre cœur de métier, l’accompagnement des entreprises, doit pouvoir bénéficier de ce savoir-faire que nous avons vocation à développer, consolider.