L’économie circulaire dans le secteur de la construction post-pandémie

Le secteur de la construction est historiquement l’un des premiers à être analysé à travers le prisme de l’économie circulaire. Cependant, avec la récente pression économique induite par la pandémie pour la reprise et la croissance, la réduction des impacts environnementaux et sociaux générés par le secteur semble devenir moins prioritaire pour ses acteurs.

Alors que la filière continue de croître à un rythme impressionnant, il est important de reconsidérer son status quo et les domaines prioritaires à analyser afin d’enrayer les dommages environnementaux liés à son développement.

Une croissance économique impressionnante post-pandémie

En effet, en 2021 le secteur a poursuivi son expansion dans les deux plus grandes économies du monde – les États-Unis et la Chine. Malgré la baisse des travaux de construction non résidentiels et publics aux États-Unis, la filière de la construction a continué de croître tout au long de la pandémie, principalement alimentée par la forte augmentation des dépenses dans la construction résidentielle.[3].

économie circulaire construction

En Chine, malgré les pressions exercées par l’endettement de nombreuses entreprises du bâtiment, dont de nombreux, dans le climat économique actuel, peuvent même risquer de déposer leur bilan (comme ce fut le cas avec Evergrande), le rendement global du secteur a également augmenté pendant la pandémie. En 2020, il a augmenté de 1,3 %, en 2021 de près de 7 %, et il devrait encore augmenter de 6 % cette année[4] . Ici, contrairement aux États-Unis, la croissance a été principalement alimentée par les dépenses gouvernementales en travaux publics.

la production mondiale de la construction

Considérant que la Chine et les États-Unis sont en tête en termes de taille du marché de la construction, représentant actuellement plus de 44 % du marché mondial et devant encore représenter plus de 40 % dans une décennie selon des estimations des experts[5], il est naturel que les tendances mondiales de la croissance/décroissance tendent à suivre les trajectoires de ces deux pays. Les deux marchés connaissant des expansions assez fortes, cela ne peut que signifier une croissance du secteur dans son ensemble dans les années à venir. Et en effet, les prévisions pour 2021 et 2021 montrent une production bien supérieure à celle des années pré-pandémiques, comme le montre l’image ci-dessus[6].

Bien que le rendement du secteur du bâtiment atteigne à peine les niveaux pré-pandémiques au Royaume-Uni et dans l’UE [1][2] et se caractérise par une baisse générale pour l’année 2020, ici aussi le secteur devrait atteindre 11,6 % du PIB, atteignant le niveau le plus élevé depuis 2009 [17], et marquant l’importance croissante de ce secteur par rapport à l’ensemble de l’économie européenne.

Les domaines générant le plus d’impact environnemental dans le bâtiment

Pour simplifier un sujet autrement complexe et délicat, examinons les trois principaux intérêts de l’économie circulaire vis-à-vis de l’industrie de la construction : les matières premières, l’énergie et les déchets.

1. Les matières premières

En termes de matières premières, ce secteur consomme plus de 40 milliards de tonnes de matériaux par an au niveau mondial. Cela équivaut à plus de 40 % de l’utilisation mondiale des ressources. Pourtant, le rythme rapide de l’épuisement des ressources n’est qu’un des nombreux problèmes que ces chiffres impliquent. Les matériaux de construction les plus utilisés sont le ciment, l’acier et le verre, qui dépendent tous fortement de l’extraction de différentes ressources, notamment le sable, le fer et le carbone.

Matière première la plus utilisée après l’eau, le sable représente 70 à 80 % du total des matières extraites. En raison de la demande élevée et en constante augmentation, les lits des rivières et les carrières terrestres ont été abandonnés, la plupart des extractions se déroulant désormais dans les mers et les océans. Parmi les impacts écosystémiques de l’extraction du sable, on peut compter la perte de biodiversité, l’érosion des terres, les altérations des fonctions hydrologiques (modifications des débits d’eau, inondations et courants marins), la dégradation de l’approvisionnement en eau, etc.

matières premières pour la construction

Outre le sable, la production de ciment nécessite également de l’argile, du gravier, du calcaire et du minerai de fer, entre autres matériaux. Celles-ci doivent toutes être exploitées avec une utilisation intensive de l’eau, contaminant les eaux souterraines de leurs zones, entraînant un changement radical de la composition des sols et affectant ainsi à chaque fois la biodiversité locale. De plus, on estime que pour chaque tonne de ciment produite, 0,9 tonne de CO2 résulte du procédé, faisant de la production de ciment l’un des plus gros émetteurs industriels de CO2, représentant actuellement plus de 8 % des émissions mondiales (2,7 milliards de tonnes de CO2 par an)[7].

La production d’acier, qui utilise principalement du minerai de fer et du carbone, est également à la fois énergivore et très polluante. On estime qu’en moyenne 1,83 tonne de CO2 est nécessaire pour produire chaque tonne d’acier, ce qui donne un total mondial de 3,3 milliards de tonnes de CO2 par an[8]. Bien que le verre émette beaucoup moins de GES, sa production émet tout de même des oxydes de soufre, des oxydes d’azote ainsi que des particules de métaux lourds (selon la composition du verre).

secteur de la construction métallique

2. Énergie

Selon l’AIE, le secteur du bâtiment représente plus de 40 % des dépenses en énergie et des émissions liées aux opérations dans le monde[9].Alors que le verre n’est pas nécessairement un matériau énergivore, ne nécessitant qu’environ 6 kJ/t, l’acier et le ciment sont beaucoup plus exigeants, la production de chacun nécessitant respectivement 20 GJ/t et 3,5 GJ/t.

Outre les besoins énergétiques pour la production des matériaux de construction, nous devons également prendre en compte la consommation au niveau de la construction réelle, ainsi que la consommation d’énergie pendant la durée de vie des bâtiments. Ce dernier est estimé à 200 à 300 kWh/m²,[10] tandis que le premier dépend fortement du type de bâtiment, des procédés utilisés et d’autres circonstances spécifiques. Au total, ce secteur représente plus de 36 % de la consommation finale d’énergie dans le monde, ce qui est assez décourageant si l’on considère que le mix énergétique utilisé pour cette activité privilégie toujours les combustibles à base de carbone, le charbon et le gaz étant les combustibles les plus utilisés.

secteur de la construction énergétique

3. Déchets

Un autre aspect significatif du secteur du bâtiment vis-à-vis de l’économie circulaire est la production de déchets. Bien que la production réelle dépende fortement du cas par cas, les estimations montrent qu’environ 30 % du poids total des matériaux de construction livrés aux chantiers finissent comme déchets [11].

Ces dernières années, des études ont permis d’obtenir des fourchettes pour la production de déchets liée à la construction et à la démolition. Pour les activités résidentielles, la production de déchets variait comme suit : entre 195-725 kg/m² pour les bâtiments en bois, 302-664 kg/m² pour les bâtiments en maçonnerie et 805-1371 kg/m² pour les structures en béton armé[12].

En ce qui concerne la fermeture des boucles de production et la transformation des déchets en une nouvelle ressource, la réalité du secteur est assez fragmentée au niveau mondial. Certains pays ont des taux élevés de réutilisation des déchets, comme le Japon (97 %), les États-Unis (76 %), les Pays-Bas, l’Allemagne ou le Danemark (70 %), mais dans la plupart des régions du monde, ces taux restent faibles, notamment en Chine (5 %). Par ailleurs, la collecte et la réutilisation des matériaux n’impliquent pas instantanément une démarche d’économie circulaire, car il faut garder à l’esprit les effets rebond du recyclage, à savoir la forte consommation d’énergie qu’il nécessite, notamment pour les matériaux à forte énergie grise, tels que l’acier, le béton et l’asphalte.

Une feuille de route pour l’avenir du secteur de la construction

Considérant l’expansion agressive de l’industrie de la construction, les impacts écosystémiques très négatifs associés à l’extraction des matières premières, l’utilisation extrêmement intensive de l’énergie (pendant les étapes d’extraction, de transformation, de construction, de démolition et de récupération des matériaux), ainsi qu’une production inquiétante de déchets, pouvons-nous conclure que l’effet de la pandémie sur ce secteur n’a été que l’aggravation d’une industrie déjà très polluante ?

1. Domaines prioritaires pour réduire les dommages environnementaux

Avant de répondre à cette question, il faut se pencher sur les alternatives aux bâtiments classiques, à savoir les « bâtiments verts » et leur développement tout au long de la pandémie. Pour être considéré comme « vert », un bâtiment doit être conçu en tenant compte des caractéristiques suivantes[13] :

  • Utilisation efficace de l’énergie, de l’eau et d’autres ressources
  • Utilisation d’énergies renouvelables, telles que l’énergie solaire
  • Mesures de réduction de la pollution et des déchets, et possibilité de réutilisation et de recyclage
  • Bonne qualité de l’air ambiant intérieur
  • Utilisation de matériaux non toxiques, éthiques et durables
  • Prise en compte de l’environnement dans la conception, la construction et l’exploitation
  • Prise en compte de la qualité de vie des occupants dans la conception, la construction et l’exploitation
  • Une conception qui permet de s’adapter à un environnement changeant

construction verte

2. Nécessité d’améliorer les définitions, le partage des ressources et des données pour les « bâtiments verts »

Malgré l’absence de bases de données complètes accessibles au public pour évaluer l’évolution de ce segment du marché de la construction, sur la base de revues de littérature, d’enquêtes auprès des entreprises et d’analyses macroéconomiques, la tendance semble être favorable aux « bâtiments verts ». Le taux de croissance prévu pour le marché des « matériaux de construction écologiques » au cours des 5 prochaines années est le double de celui des matériaux conventionnels[14].

Aussi encourageant que cela puisse paraître, si l’on veut aborder cette notion de "bâtiment vert", il devient immédiatement évident qu’elle est loin des standards de l’économie circulaire : l’efficacité des ressources n’implique pas de chaînes d’approvisionnement circulaires, et l’utilisation de "ressources renouvelables" ne signifie pas nécessairement une énergie décarbonée car les impacts en amont de l’obtention de ladite énergie doivent également être pris en compte. Pour cette raison précisément, nous avons besoin non seulement de définitions plus précises, mais aussi d’améliorations dans la collecte et le partage des données entre les acteurs.

3. Passer des investissements quantitatifs vers des investissements qualitatifs

Outre les problématiques liées aux définitions et aux données, nous devons garder à l’esprit que même les prévisions les plus optimistes montrent toujours une part minoritaire de constructions "vertes" par rapport aux bâtiments conventionnels – les prévisions pour 2023 montrent un marché total de 103 milliards de dollars pour les constructions “vertes” [15] et un marché total de 10 500 milliards de dollars pour l’ensemble du secteur de la construction[16]. Cela signifie qu’en 2023, les « bâtiments verts » ne représenteront encore qu’environ 1 % des investissements totaux dans le secteur.

Pour conclure, alors que la pandémie a accéléré la tendance à la hausse déjà existante de l’intérêt pour la construction durable, nous avons encore un long chemin à parcourir pour atteindre la circularité dans cette industrie.

Pour ce faire, nous devons commencer à repenser les différents intrants ainsi que les méthodes de conception, d’ingénierie et de construction utilisées, mais aussi à réorienter les flux financiers du développement quantitatif continu de l’industrie vers une transformation qualitative substantielle des structures déjà existantes. Cela conduirait à une rupture de la corrélation actuelle entre les impacts environnementaux négatifs et les investissements dans la construction, laissant ainsi enfin la place à un secteur de la construction circulaire.

Maintenant, c'est à vous.

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