Réveiller les stocks dormants

Chaque jour des centaines de millions de vêtements sont produits dans le monde pour satisfaire la demande des consommateurs. L’engouement pour la fast fashion et le caractère cyclique de la mode n’ont fait qu’alourdir ce chiffre.

Les impacts de la production de vêtements sont immenses, mais de mieux en mieux identifiés. On le sait dorénavant, un vêtement représente une consommation astronomique d’énergie, d’eau, des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi des rejets de micro-plastiques et de matières chimiques, sans oublier les déchets associés, tout au long de la chaîne de production, de distribution et jusqu’à la fin de vie de ce vêtement.

Toutefois, il y a encore un sujet que l’on passe souvent sous silence et qui, pourtant, contribue pleinement au désastre que représente l’industrie textile aujourd’hui : les stocks dormants.

stocks dormants

(c) Ekaterina Grosheva

Que sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quels sont leurs impacts ? Mettons la lumière sur ce sujet.

Les stocks dormants sont des tissus produits pour le compte d’une marque de textile, mais qui seront finalement abandonnés pour deux raisons principales : ils sont invendus ou invendables.

On distingue deux principaux types de tissus dormants :

  • Ceux restant chez le fabricant de tissus (avant même la réalisation des vêtements)
  • Ceux s’additionnant tout au long de la chaîne de production sous la propriété des marques, des créateurs ou des maisons de couture.

Si nous avions sous les yeux ces tissus, il est certain que nous ne comprendrions pas la raison de leur abandon. En effet, ils sont pour la plupart en bon état, originaux, agréables, travaillés, bref la grande majorité reste tout-à-fait utilisable. Alors pourquoi ne passent-ils pas la porte de l’entrepôt ?

Chez les fabricants, une simple commande annulée, un motif qui finalement ne plaît pas, une erreur de coloris, une malfaçon rarement visible à l’oeil nu, une série trop ancienne, peuvent suffire à signer la fin de parcours d’un tissu.

Concernant les marques, le processus même de création d’une pièce contribue à la constitution de ces stocks. Nous pourrions comparer la phase de design / prototypage à un exercice de gaspillage normalisé : il y a autant de prototypes produits que d’idées de création. Or, chaque échantillon peut demander jusque 25 mètres de tissu.

Aussi, une autre étape constitue un passage délicat pour les pièces : les salons. En effet, lorsque qu’un modèle parvient à passer l’ensemble des étapes de création et voit enfin le jour, il va être présenté aux retailers par la marque lors de salons. Toutefois, si celui-ci ne remporte pas le succès escompté, sa production sera annulée, et le tissu commandé laissé pour compte.

Enfin, il est important de comprendre que les marques reçoivent souvent la matière en grande quantité pour une simple et bonne raison: il est de coutume d’allouer une marge au fournisseur de plus ou moins 5% de tissu sur les quantités qu’il livre.

Ainsi,  la problématique est belle est bien présente, mais qu’est ce que cela induit au juste ?

Trois points de tension importants :

  • Le premier est évidemment environnemental car chaque mètre de tissu produit ajoute une pression non négligeable sur les réserves en eau, ainsi qu’une pollution de l’air et des sols.
  • Le deuxième est relatif à l’entreposage de ces stocks qui demande des espaces chauffés et éclairés.
  • Le dernier est économique car, d’après une analyse de la marketplace en ligne Queen of Raw : « Chaque année, le tissu inutilisé coûte environ 120 milliards de dollars à l’industrie de la mode. Pour certaines grandes entreprises, cela peut représenter un impact de 15% sur le résultat net annuel »

Alors, qui peut changer les choses?

De manière évidente, les réglementations peuvent influencer le destin de ces stocks. D’ailleurs, elles l’ont déjà fait ! Vous vous souvenez du scandale des vêtements brûlés ? Et bien, en France, cela n’est plus possible depuis la loi du 10 Février 2020. Cette dernière permet aux entreprises réalisant des dons d’invendus neufs d’être exonérées d’une régularisation de TVA. Ensuite, elle place la destruction comme alternative ultime et privilégie la prévention, le réemploi et le recyclage. Aussi, depuis fin 2021 il est interdit de détruire des invendus non alimentaires. Enfin, elle réaffirme la catégorisation des produits TLC (Textile d’habillement, Linge de maison & Chaussure) neufs comme filière REP (Responsabilité élargie du producteur) qui impose aux metteurs en marché de participer au financement des coûts de collecte, tri et valorisation.

En tant que consommateurs notre pouvoir est principalement dans l’acte d’achat, mais il pèse plus qu’on ne le pense dans la balance ! Le simple fait de réduire nos achats, pousse les industriels à repenser leurs modèles. En effet, d’après le rapport du WWF sur l’industrie de l’habillement et des textiles : « Nous achetons en moyenne 20 kilos de vêtements… par an! Pourtant, nous portons presque toujours les mêmes. » Ensuite, prenons soin de nos vêtements et réparons-les ! Puis, lorsque nous achetons, faisons-le en conscience.

Malgré tout, les acteurs de la filière sont les premiers concernés. Depuis de nombreuses années, une part de ces tissus sont revendus à des destockeurs à prix cassés. Toutefois, on observe une véritable démocratisation des tendances autour de la seconde main et de l’upcycling, cette pratique qui consiste à redonner de la valeur à des matériaux dont on n’a plus besoin en les transformant.

Dès lors, les jeunes créateurs de mode réveillent de plus en plus ces tissus abandonnés. La révolution se fait aussi en interne, mais c’est plus complexe. De fait, le métrage est parfois trop court pour recréer une ligne ou une collection entière à partir du tissu. Aussi, commander une nouvelle fois la même référence au fournisseur s’avère délicat à cause des modifications de procédés de fabrication, de pigments, etc…

Toutefois, lorsque le vêtement est repensé et les stocks dormants pris en compte, de belles initiatives sont prises ! Parmi elles, “la re-fabrication invisible” pour laquelle des tissus dormants sont utilisés à des endroits précis comme les doublures ou l’intérieur de poches. La “re-fabrication visible” existe aussi et note un parti pris de l’entreprise à créer un vêtement à l’allure modulable avec des petites touches de tissus dormants pour les poches ou le col.

Et s’il s’agissait d’abord d’adopter un nouveau regard sur ces stocks ?

Depuis toujours, ce sont les croquis des stylistes qui donnent vie à une matière. Pourquoi dorénavant ne serait-ce pas l’inverse ? Pour ce faire, il faut adopter une nouvelle vision du textile et de son écosystème entier qu’est la mode.

Or, il y a trois manières de faire évoluer une entreprise : repenser le business model, transformer le produit, ou modifier le process. Chacun de ces niveaux d’innovation peuvent être une solution à la problématique des stocks dormants.

  • En améliorant la relation avec les fournisseurs et le processus de conception des prototypes
  • En prenant en compte, dès la phase de design, ces tissus déjà produits et en concevant l’article de sorte que ces morceaux originaux le subliment plutôt que ne le dégradent
  • En produisant moins, mais mieux, en passant de la vente de vêtement à la vente de tendance où le produit devient service. Partager, réutiliser, réparer, sont autant de solutions pour les différents modèles existants.

Voyons donc quelques exemples de belles réussites qui permettent d’inspirer entrepreneurs, consommateurs, ou grandes entreprises de l’industrie du textile.

Pour ce qui concerne l’approvisionnement, quelques sites se sont spécialisés dans la revente de stocks dormants, parmi eux : Nonasource , Adapta, The fabric sales, Feat.coop et à venir en 2023 Take Me Out.

La palme de la conception et de l’innovation, elle, revient aux jeunes créateurs. Ces derniers sont biens plus conscients et informés sur les problématiques sociales et environnementales.

D’ailleurs, Circulab est intervenu auprès des étudiants de l’International Fashion Academy (IFA Paris) durant trois jours, afin de répondre à leurs interrogations sur l’application de l’économie circulaire à leur industrie et les former aux outils de la Circulab Toolbox.

Sur le marché, certaines jeunes marques françaises d’upcycling gagnent en visibilité comme : Nowmade Wear, Resap Paris, ou, pour des collections un peu plus coutures, Amour Collective. À l’international, Outerknown, Re/Done, et Zero Waste Daniel s’installent dans les penderies.

Pour repenser et faire évoluer les entreprises déjà installées, il faut accompagner le changement en interne. Ainsi, Circulab a formé les équipes de la marque française Salomon pour mieux maitriser les nouveaux business models circulaires. Aussi, des plateformes comme Refashion existent pour s’informer sur les différentes alternatives possibles aux modèles linéaires.

Finalement, le mouvement est en marche et de nombreux acteurs se mobilisent pour repenser le destin des ces tissus abandonnés. Vous connaissez l’histoire du vilain petit canard qui se transforme finalement en cygne ? Et bien, c’est le même destin que devrait vivre chaque morceau de tissu oublié au fond des entrepôts. Oeuvrons donc ensemble pour réveiller ces stocks dormants en prenant conscience de leur valeur.

Par Célia Boccard, chargée de projets, Circulab

Vous souhaitez repenser le modèle économique de votre marque de mode en utilisant les stocks dormants ? Circulab et Uptrade, plateforme française d’upcyling B2B, travaillent sur une formation qui vous est destinée !

Maintenant, c'est à vous.

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