Pourquoi le biomimétisme ne consiste pas seulement à copier la nature

*Ceci est un extrait d’un article publié à l’origine dans le magazine norvégien Naturfag 1/17 : Kreativitet. Vous pouvez lire l’article complet ici

Éveil des sens

Ses yeux sont fermés. Son visage affiche une expression mêlée de curiosité, de concentration et de joie tandis que ses doigts explorent l’objet qu’elle tient dans ses mains, presque de la taille de ses paumes. Elle tourne et retourne l’objet, ne laissant aucune surface inexplorée. L’objet semble hérissé sur certains bords, lisse dans ce qu’elle décrit comme l’intérieur, légèrement bosselé et un peu plus rugueux sur la surface extérieure. Il semble léger, mais dur et solide. Il semble y avoir une sorte de motif sur les bords, et apparemment une symétrie aussi. C’est peut-être la carapace d’un animal, mais le but de l’exercice n’est pas de découvrir ce qu’est l’objet, mais plutôt de le découvrir avec tous ses sens, sauf la vue, du moins pour l’instant. Son voisin à la table de l’atelier a choisi un objet parmi les artefacts naturels posés sur la table et l’a mis dans ses mains ouvertes alors que ses yeux étaient fermés.

Biomimétisme conception inspirée de la nature

Dans la salle de classe, une douzaine d’autres étudiants en design font le même "exercice les yeux bandés" en binôme. L’un d’eux ferme les yeux et ouvre les mains pendant que l’autre choisit un artefact et le met dans les mains de la première personne. Pendant qu’ils explorent l’artefact, ils disent à haute voix tous les adjectifs qui leur viennent à l’esprit et le voisin les prend en note.

Au début, les adjectifs sont un peu difficiles à trouver, mais petit à petit, ils commencent à venir. Nous sommes tellement influencés et stimulés par la vue que nous avons tendance à décrire les choses d’après leur apparence, oblitérant ainsi une bonne partie des informations provenant des autres sens. Après avoir ouvert les yeux, les binômes inversent les rôles et celui qui a choisi l’objet devient l’aveugle.

Tous ces adjectifs caractérisent une fonction. Il y a une raison pour laquelle la coquille est à la fois dure et légère, hérissée par endroits et lisse à l’intérieur. Comprendre ces fonctions, puis comprendre comment la nature les réalise, est essentiel pour pouvoir apprendre de la nature.

Ce que nous voulons faire, c’est extraire les principes des solutions proposées par la nature et les mettre en œuvre dans nos designs. Après tout, la nature est confrontée à bon nombre des défis que nous, les humains, rencontrons dans nos vies. Nous sommes tous soumis aux mêmes lois de la physique, confrontés aux mêmes éléments et nous nous adaptons à eux. La nature est passée maître dans l’art d’utiliser de manière "créative" les lois de la physique à son avantage. En outre, la nature est durable. La vie crée des conditions propices à la vie.

À quoi est-ce que cela peut ressembler si nos innovations créaient des conditions propices à la vie ? Pouvons-nous concevoir des produits ou des services de manière durable ? Oui, nous le pouvons. Le faire en s’inspirant de la nature est ce qu’on appelle le biomimétisme. Nous le définissons comme l’émulation consciente des stratégies réussies de la nature.

Biomimicry-workshop-design-school

Crédit photo : Alex Asensi

Innovation et créativité

Comment la nature innove-t-elle ? Comment la nature trouve-t-elle de nouvelles idées ? La créativité fonctionne un peu différemment pour nous et pour le reste de la nature. La nature n’est pas créative en soi. La diversité que nous trouvons dans tous les êtres vivants est le résultat à la fois de mutations génétiques aléatoires et du processus évolutif qui filtre ces mutations par la survie du plus apte. Il n’y a pas d’intention derrière cette diversité, il n’y a pas de dessein intelligent. Le résultat est néanmoins intéressant pour nous, les humains, car la nature constitue une bibliothèque géante de solutions à divers défis. Et pour chaque défi, il existe de nombreuses solutions dont nous pouvons nous inspirer.

Prenons un exemple. La régulation de la température est un défi commun à tous les êtres vivants. Nous en avons besoin pour conserver nos aliments, pour nous sentir bien dans les lieux où nous vivons et travaillons ou dans la plupart de nos véhicules de transport. Voyons maintenant comment la régulation de la température se produit dans la nature.

  • Le plus proche de nous : notre corps. Il essaie de maintenir une température à peu près constante, et les moyens d’y parvenir sont, par exemple, la transpiration ou les frissons.
  • Dans les climats chauds, de nombreux animaux utilisent de grandes surfaces corporelles pour créer un échange de chaleur pour leurs vaisseaux sanguins. Prenez les oreilles de l’éléphant par exemple. Le renard du désert a également de très grandes oreilles, alors que le renard arctique en a de toutes petites, afin de ne pas perdre trop de chaleur corporelle dans le froid.
  • Les cactus utilisent l’ombre par exemple : le motif en zigzag de leur section transversale leur permet de générer de l’ombre quel que soit l’angle des rayons du soleil, et comme vous le savez peut-être, il fait plus frais à l’ombre.
  • Les rayures noires et blanches du zèbre peuvent également constituer une stratégie de refroidissement : les rayures noires sont plus chaudes que les zones blanches, ce qui crée une convection et l’air en mouvement refroidit ainsi légèrement la peau.
  • Dans certains endroits d’Afrique, les termites construisent des monticules de plusieurs mètres de haut et, étant donné qu’ils sont directement exposés au soleil, la température à l’intérieur devrait être très élevée. En réalité, ce n’est pas le cas car les termites ont créé un système de ventilation ingénieux qui leur permet de réguler la température. En outre, le nid dans le monticule se trouve sous le sol, à une profondeur telle que la température du sol reste constante, quelle que soit la température extérieure.

On peut trouver tellement de stratégies pour cette simple fonction de régulation de la température. Allez jeter un coup d’œil sur ce site fantastique : www.asknature.org et cherchez "réguler la température". Vous y trouverez une liste de nombreuses autres stratégies. Ce site est basé sur une base de données de plus de 1600 stratégies de différents organismes, une grande source d’inspiration lorsque vous essayez de résoudre des défis.

Une application concrète du biomimétisme basée sur les stratégies mentionnées ci-dessus est le Eastgate Center à Harare, au Zimbabwe. L’architecte Mick Pearce s’est inspiré du système de ventilation des termitières et a mis en œuvre les principes de leur stratégie dans le système de ventilation du bâtiment, économisant ainsi 90 % de sa facture énergétique pour la climatisation. C’est un bon exemple de la façon dont la nature peut nous aider à innover et à nous rapprocher de solutions durables.

Ventilation des bâtiments inspirés des termitières

L’exercice des yeux bandés que j’ai décrit au début de cet article est la façon dont nous commençons presque tous nos ateliers de biomimétisme. En plus d’être amusant, il met les élèves dans un état d’esprit beaucoup plus propice à la créativité.

L’étape suivante de cet exercice consiste à prendre tous ces adjectifs que les élèves ont déposés et à leur faire deviner quelle fonction ils pourraient avoir. À partir de là, nous les invitons à réfléchir aux endroits où, dans notre vie quotidienne, dans les objets que nous utilisons ou qui nous entourent, ces fonctions sont présentes. Comment intégreraient-ils dans leur conception ce qu’ils ont trouvé ?

Pour le non-biologiste, le processus est souvent inversé : au lieu de partir de la nature, il peut commencer par un défi. Prendre ce défi, le décomposer en fonctions nécessaires pour le résoudre et regarder comment la nature réalise ces fonctions est une autre façon de faire du biomimétisme.

Tatouage-biomimétisme

Dans le cadre de l’un des défis de conception de l’atelier, les élèves ont étudié comment les tatous peuvent s’empiler en une boule solide qu’aucun prédateur ne peut ouvrir.

Créer des conditions propices à la vie

Toutes ces idées doivent être liées à la durabilité. Le biomimétisme n’est qu’un des nombreux moyens de s’inspirer de la nature, mais ce qui le différencie des autres approches inspirées de la nature est l’inclusion nécessaire de la notion de durabilité dans le processus. Votre conception doit, par exemple, utiliser moins de matières premières, moins d’énergie, être adaptée aux conditions locales, etc. Créer des conditions favorables à la vie est une bonne définition de la durabilité.

La vie crée des conditions propices à la vie en suivant un certain nombre de schémas profonds. La collection de ces principes plus fondamentaux (et ceci est basé sur la recherche scientifique) est connue dans le biomimétisme comme les principes de la vie (développés par Biomimicry 3.8 – voir ci-dessous). Il s’agit d’un bon outil à utiliser lors de la conception de nouveaux produits, services ou systèmes : plus vous intégrez de principes, plus vous vous rapprochez de la durabilité. Votre conception doit également être évaluée par rapport à ces principes, de sorte que lorsque vous l’actualisez, vous vous concentrez sur les principes qui ont été mal ou pas du tout mis en œuvre.

Principes de vie-biomimétisme

Le biomimétisme est le plus souvent utilisé dans le développement de produits, mais la dernière décennie a également vu une augmentation de l’activité sur le front de l’innovation sociale. Après tout, la durabilité ne se limite pas aux produits, à la production et à l’utilisation des matières premières, elle est aussi une question sociale. L’étude du fonctionnement des insectes sociaux ou, à plus grande échelle, de tout un écosystème, peut nous donner des indices sur la manière d’améliorer nos sociétés. Sans entrer dans les détails, nous pouvons par exemple apprendre à prendre de meilleures décisions en groupe en observant comment les abeilles s’y prennent. C’est le sujet du livre Honeybee Democracy de Thomas Seeley. Les écosystèmes matures, comme les forêts, reposent principalement sur la collaboration et l’étude de la manière dont elle est structurée peut améliorer la façon dont nous façonnons nos entreprises, nos marchés et nos sociétés.

Il reste encore beaucoup à apprendre sur la nature, mais ce que nous avons déjà découvert peut grandement contribuer à rendre notre espèce durable.

Michel Wolfstirn, membre de la Circulab community et co-fondateur de BiomimicryNorway

Vous souhaitez en savoir plus sur le biomimétisme et sur la manière dont vous pouvez appliquer les principes des systèmes vivants dans votre entreprise ?

Maintenant, c'est à vous.

/contact

(simple et direct)


/newsletter

(mensuelle et faite maison)


/bisou