Le réemploi, nouvelles valeurs pour nos territoires face aux défis ?

Tribune co-écrite par les membres experts de la communauté Circulab : Franck Robert, consultant et formateur en économie circulaire (Paris), Emilie François-Diehl, Co-Fondatrice, Re-vert (Nantes), Florian Cezard, Directeur, Agatte (Montpellier), et Philippe Le Berre, Fondateur, TKT Consulting (Nantes). Initialement publiée par Les Echos Solutions du 14 avril 2025, dans le cadre du partenariat avec REUse Economy Expo

Inflation des matières premières, tensions sur les chaînes d’approvisionnement, explosion des coûts de gestion des déchets… Nos territoires sont confrontés à des défis sans précédent, menaçant à la fois leur équilibre économique et leur capacité d’adaptation. Face à ces crises, le réemploi et la réutilisation apparaissent trop souvent comme un simple réflexe écologique, alors qu’ils représentent une opportunité bien plus large : celle de construire des économies locales plus robustes, capables de résister aux chocs et d’assurer un avenir durable.

En redonnant de la valeur aux ressources existantes, en mutualisant les équipements et en favorisant des circuits courts, le réemploi crée de l’activité, réduit la dépendance aux importations et diminue les déchets à traiter. C’est un levier stratégique pour préserver et créer des emplois locaux, optimiser les finances des collectivités et alléger notre empreinte environnementale.

Bien plus qu’un ensemble de gestes vertueux, le réemploi incarne une alternative économique et sociale qui renforce la résilience de nos territoires, tout en créant de la valeur à tous les niveaux.

Ouvrir l’accès aux gisements de ressources sous-exploités, au plus près de chez soi 

Nos territoires regorgent de ressources dormantes ou sous-exploitées : matériaux de construction, équipements industriels, textiles, meubles, appareils électroniques… Les différents leviers comme le réemploi ou la réutilisation, l’intensification et la mutualisation de l’usage au sein même des territoires afin de favoriser les circuits courts, sont autant de pistes qui peuvent favoriser le développement de tous les acteurs, que ce soit les entreprises, les collectivités ou les associations. Malgré cela, le constat est timide : à l’exception du secteur automobile qui intègre le réemploi à l’intérieur même de son modèle depuis de nombreuses années, et totalisant ainsi plus de 21 milliards d’euros de chiffres d’affaires avec le réemploi et la réutilisation, l’économie du réemploi ne pèse pas encore significativement. A titre d’exemple, seuls 1 % des matériaux de construction sont aujourd’hui réemployés (donnée pour l’année 2021), de même que seulement 2,2 % des emballages (donnée pour l’année 2023).

Pourtant, des solutions existent pour donner une seconde vie aux ressources de nos territoires, au sein même de celles-ci :

  • Le bâtiment est un secteur en marche avec des initiatives comme Cyneo ou Articonnex, qui met en place un maillage territorial pour la collecte et le réemploi des matériaux.
  • L’agriculture bénéficie également de structures coopératives comme les CUMAs, qui facilitent la mutualisation des équipements. 
  • Certaines start-ups industrielles, comme SoSpare et HexaShip, s’attaquent aux stocks dormants en proposant des solutions pour leur valorisation et leur réintégration dans l’économie circulaire.
  • Des plateformes locales de mutualisation, des recycleries, des circuits courts et des acteurs locaux de la réparation et du reconditionnement, comme Envie, Murfy ou Underdog, permettent de réduire le gaspillage et la dépendance aux matières premières sur les territoires.

Cependant, d’autres secteurs en sont encore aux balbutiements. Le secteur de la santé, par exemple, commence tout juste à explorer les possibilités du réemploi. Dans l’industrie du numérique ou celle du tourisme il y a encore de belles marges de manœuvre pour optimiser la gestion des ressources.

Les volontés sont là, mais se heurtent à des obstacles comme les normes et standards trop rigides, les contraintes de qualité et de conception, l’hygiène et la sécurité, les freins administratifs, juridiques et assurantiels, pour n’en citer que les principaux. En levant les barrières existantes, tout en préservant la santé et la sécurité du consommateur, en travaillant de concert entre les industriels, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les associations et les collectivités, nous pourrons accélérer la transition vers une économie du réemploi.

Créer des emplois locaux riches de sens

Penser à faire durer, prendre soin de ce à quoi on tient, donner une seconde vie à un objet, recycler la matière , acheter des produits issus du réemploi… au-delà de la sauvegarde des ressources et de la réduction des déchets, toutes ces bonnes pratiques permettent de développer des filières vertueuses et donc autant de nouveaux emplois au sein de nos territoires.

Selon le Ministère de la transition écologique, le marché de l’emploi de la réparation et du recyclage (pour les particuliers et les professionnels) représentait 455 000 emplois en 2017…dont les emplois de la réparation et l’entretien représentent la majeure partie (soit 352 000). Quand on sait, par exemple, qu’en électroménager seuls 36 % des Français réparent leurs produits alors qu’un appareil sur deux rapporté au SAV ne nécessite aucune pièce de rechange pour le remettre en état de fonctionnement (d’après une étude prospective emploi-compétence réalisée à la demande de la Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage), on peut imaginer sans mal le potentiel d’emplois et le besoin des consommateurs d’avoir à leur disposition des structures de proximité.

De nombreux secteurs pourraient s’inspirer notamment du marché du vélo. En effet, d’après l’Observatoire du cycle 2024, “iI se répare actuellement deux fois plus de vélos qu’il ne se vend de vélos neufs”. Malgré un contexte économique tendu, « sur l’ensemble du marché, la maintenance est le seul secteur en progression” : +19 % par rapport à 2022, et +116 % par rapport à 2019.

Pour suivre cette demande croissante, entre 2018 et 2021 le nombre d’ateliers de réparation des vélos a doublé (passant de 2150 en 2018 à 4300 en 2021). Sur les 4 353 ateliers de réparation de cycles que compte la France, l’ADEME estimait que 25,25 % des ateliers appartiennent aux distributeurs. Le reste étant composé de réparateurs indépendants, y compris des réseaux et des ateliers collaboratifs comme ceux fédérés par l’Heureux Cyclage, un des acteurs très actif de l’économie sociale et solidaire.

Tout cela est vertueux : la filière forme et qualifie sur des métiers riches de sens car renforçant la coopération et l’entraide de proximité, et donc contribuant à ressouder les communautés locales.

Estimer le potentiel d’emploi par filière (bâtiment, DEEE, cycle,…) est encore difficile aujourd’hui car il est très dépendant du comportement des consommateurs, de la durabilité et la réparabilité accrues des produits, du savoir-faire développé par les acteurs du réemploi et de la gestion du déchet.

Ce qui est certain, c’est que le marché du réemploi et du recyclage se professionnalise à grande vitesse, que cela soit chez les artisans ou chez les grands donneurs d’ordre.

Par ailleurs, le réemploi est une opportunité de relocaliser des emplois, car il repose sur des activités ancrées dans les territoires, nécessitant une intervention physique et un savoir-faire local. Ces métiers – qu’il s’agisse de la rénovation de meubles, du reconditionnement d’appareils électroniques, de la récupération de matériaux de construction ou de la réparation textile – nécessitent des compétences spécifiques, souvent artisanales et qui apportent une valeur complémentaire à nos territoires.

Réduire les déchets, alléger le bilan carbone et permettre une économie plus robuste à l’échelle d’un territoire

Nos besoins en ressources augmentent alors que les volumes de nos déchets explosent. Loin de l’idéal d’une société du recyclage, 93 % des matériaux consommés mondialement en 2023 sont en réalité « vierges » (directement issus de l’extraction) selon le Circular Gap Report, alors que la production de déchets ménagers pourrait croître de 70 % d’ici à 2050, majoritairement du fait des pays riches (Banque mondiale, 2018), avec des conséquences environnementales et sociales dramatiques, des impacts liés à l’extraction jusqu’aux impacts du traitement (ou non traitement) des déchets.

A cela s’ajoutent les impacts économiques importants (18,4 milliards d’euros en 2020 étaient consacrés en France à la gestion des déchets selon le SDES – service statistique du ministère de l’environnement) et des enjeux géostratégiques avec les risques et tensions croissants sur l’approvisionnement en ressources, notamment en métaux et minéraux. Le contexte récent de guerre en Ukraine et l’évolution politique aux États-Unis nous le rappellent, et s’ajoutent aux perturbations à venir liées au changement climatique.

Or, le réemploi permet de réduire les impacts environnementaux (dans la construction par exemple, le réemploi de matériaux permet d’éviter entre 50 % et 96 % des émissions carbone du produit neuf équivalent selon une étude de Cycle-Up) et sociaux, les coûts économiques et d’améliorer une forme de résilience en réduisant la dépendance dans les chaînes d’approvisionnement.

Pour y arriver, l’innovation devra être clé pour organiser et dynamiser à la fois les solutions et les réseaux d’acteurs autour du réemploi.

L’exemple d’une expérimentation de Rennes Métropole pourrait servir d’inspiration pour d’autres territoires : la métropole a mis en place une plateforme logistique centralisée qui trie les objets collectés dans les caissons réemploi des déchetteries, avant de les acheminer vers des recycleries locales (Emmaüs, l’Equipière, la Belle Déchette…) et des acteurs de la solidarité (Les Restos du cœur, Utopia 56…) selon leurs besoins. Elle se pose en facilitatrice et coordinatrice de la collecte pour réemploi auprès de l’ensemble des acteurs concernés.

Certains moments sont aussi clés pour ne pas retomber dans les vieux schémas : à l’image du pionner Smicval Market, plutôt que de construire de nouvelles déchèteries, 3 communautés de communes du Haut-Doubs ont parié sur une logique inversée et portent un projet de création de 2 pôles dédiés au réemploi et à l’économie circulaire (avec une recyclerie, une matériauthèque pour les matériaux de construction, une plateforme de broyage de déchets verts et un espace ludique dédié à la transition). Cet aspect ludique, souvent oublié, est d’ailleurs au cœur du concept du Banana Craft, un concours original de création de sports collectifs à base de matériaux de réemploi, à tester ensuite en championnat lors d’une grande journée festive.

Faire du réemploi la norme pour des territoires plus résilients

En conclusion, le réemploi ne peut pas être un simple ajustement à la marge : il doit s’inscrire dans un changement plus profond des pratiques économiques et industrielles. Pour maximiser son impact, il doit être pensé en amont, avec une approche de robustesse et d’éco-conception, afin de faciliter la réutilisation des matériaux et produits dès leur fabrication.

Mais pour que le réemploi devienne un réflexe dans nos territoires, il faut aussi une mobilisation collective. La solidarité territoriale est essentielle : mutualisation des ressources, collaboration entre acteurs économiques, sensibilisation des citoyens et accompagnement des entreprises sont autant de leviers pour en faire un pilier du développement local.

Enfin, le réemploi ne sera viable que s’il s’impose comme un choix évident, économiquement attractif. Pour cela, il doit être moins cher, plus accessible et plus désirable que le neuf, ce qui implique d’une part la lutte contre les biens « jetables » peu qualitatifs et d’autre part une logique de questionnement de nos besoins.

À terme, il ne devra plus être mesuré comme une exception dans les indicateurs économiques, mais bien comme une nouvelle norme redéfinissant la performance. Un tournant indispensable pour rendre nos territoires plus résilients et durables.

Retrouvez les experts de Circulab community au salon Reuse Economy Expo (le 26 mai à 17h30 en salle de conférence à l’occasion de la séquence « Reuse Economy : de la décennie d’apprentissages à la décennie de transformation« ) et les deux jours au stand de Circulab.

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