Oubliez l’emballage, repensez l’offre produit

Anne-Laure Bulliffon est fondatrice de Profil’Pack à Montréal et Albumine en France et membre de la communauté Circulab. Cet article a été précédemment publié dans la version papier d’Emballages Magazine en mars 2024.

« Redonner de la valeur à notre gamme de produit en agissant sur l’emballage, en étant le plus éco-responsable, recyclable et à isocoût si possible. Et si vous pouviez supprimer le plastique aussi... » : voici le type de « brief » que je reçois depuis quelque temps.

Menace sur les marges, risque de déréférencement par les distributeurs, augmentation du prix des matières premières, engagement RSE, réglementation omniprésente pour ne citer que la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) et le projet de règlement sur les emballages et les déchets d’emballages (PPWR), enjeux sanitaires,  incitation forte au réemploi et au vrac : cet industriel d’une belle entreprise de l’alimentaire fait face à de nombreux défis dans l’éco-conception de ses produits.

En creusant un peu, je m’aperçois vite que l’emballage est déjà fortement optimisé : réduction du vide et des épaisseurs, intégration de matériaux valorisés, tentative de remplacement par un monomatériau recyclable. Les limites industrielles et économiques sont en réalité déjà atteintes. Mon industriel est donc en stress total.

Alors, je le questionne : « Qu’entendez-vous par redonner de la valeur au produit ? » . Stoïques, ce patron et son équipe m’expliquent qu’ils ont travaillé la recette, le process, les achats et la communication. Tous ces postes ont été passés au crible pour gagner quelques centimes… Mais rien n’y fait : le produit perd toujours des parts de marché. 

Certains d’entre vous se reconnaîtront dans ce cas, qui est loin d’être isolé. J’aurai pu vendre quelques journées de prestation afin de leur présenter des solutions emballage auxquelles ils auraient déjà sans doute pensé. J’ai préféré leur proposer une approche totalement différente : repenser leur offre produit. 

Prendre conscience des vrais enjeux

Se poser la question de la valeur d’un produit alimentaire en 2023, c’est avant tout se demander comment nous nous alimenterons dans 30 ans. Nous allons devoir nous nourrir avec un budget carbone annuel moyen de 0,7 t équivalent (Teq) CO2, soit 5 fois moins qu’actuellement, pour espérer limiter le réchauffement climatique mondial à 2°C. Il faudra cependant vivre avec les conséquences désastreuses des aléas climatiques qui vont continuer de s’amplifier. L’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (FAO) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) nous alertent sans cesse : « Notre système alimentaire est fortement à risque ». Construit sur le modèle industriel linéaire, il amenuise, gaspille et détruit le système de ressources du vivant et génère le tiers des émissions des gas à effet de serre (GES) mondiales.

Or, à l’échelle industrielle, 30 ans représentent une éternité qui n’entre pas dans les plans de développement stratégique, même à long terme. Pourtant, les industries agroalimentaires (IAA) ont une opportunité :   devenir le catalyseur de cette transformation vitale ! Grâce à des offres de produits ou services climato-compatibles, elles peuvent accélérer la transition des pratiques agricoles, tout en apportant des solutions aux citoyens pour décarboner leur assiette en  mangeant plus sainement.

Place à l’innovation optimale ! 

L’ère du « design thinking » est donc révolue ! Place à l’innovation optimale ! En 2020, la loi Agec a introduit les prémices d’un nouveau paradigme économique dit circulaire, dont on ne retient souvent que les « 3R » de réduire, réemployer et recycler. Sortir de l’usage unique, diminuer le recours aux ressources fossiles, allonger la durée de vie et mieux recycler est essentiel. Mais l’économie circulaire se définit aussi par des stratégies interdépendantes qui visent à repenser les modèles de fabrication et de commercialisation pour pérenniser les ressources, tout en réduisant les impacts au minimum.

Bercées depuis plus de 30 ans par le courant du « design thinking », les marques apprivoisent nos désirs pour nous apporter toujours plus de facilité d’utilisation, de praticité, de nouveaux besoins à combler, avec des modèles à haute technicité et très rentables. Or, le « design thinking », intégré dans un processus linéaire classique, revient à gaspiller 90% de ce qui est produit.

L’innovation optimale offre une dimension augmentée au « design thinking », en y insérant les principes de l’économie circulaire comme quatrième pilier de conception. 

Sachant que 80% des impacts économiques, environnementaux et sociaux des produits sont déterminés lors de la phase de conception, imaginez ce qu’aurait été aujourd’hui la valeur supplémentaire de Nespresso si les stratégies circulaires avaient été intégrées dès la genèse du projet ? Capsules rechargeables, machines réparables, café issue de l’agriculture biologique et équitable, peut-être même un système de location des machines. Des millions de tonnes de déchets et pollutions diverses évités…

A l’échelle d’une très petite entreprise (TPE), les Paniers de Léa a saisi l’opportunité de l’innovation optimale en 2013 lorsque son modèle linéaire de vente de paniers  garnis aux entreprises battait de l’aile. En activant l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), les Paniers de Léa apporte désormais « du bien-être par l’alimentation». En plus de ses paniers locaux et des circuits courts, la société vend des ateliers et du conseil en qualité de vie au travail. Partage, santé, bonne humeur, performance, les externalité sociales positives sont nombreuses et leur chiffre d’affaires a presque doublé en moins de 2 ans. 

Design circulaire

Et si on enlevait un élément du produit grâce au design circulaire ? Et si on vendait un service plutôt qu’un produit ?  Et si le prix s’adaptait en fonction de l’usage du client ? Ces questions font partie d’un serious game d’une soixantaine de cartes de créativité de la boite à outils de l’agence Circulab. Animatrice certifiée, je suis toujours épatée de constater comment l’outil Circular Canvas permet à une équipe en charge d’un projet de sortir des limites de l’emballage pour repenser son produit jusqu’à son modèle économique même.

Je me souviens d’un atelier où le défi était de réduire certains composants tout en élaborant de la valeur ajoutée pour les clients. Lors du premier tour de créativité, les managers de ce comité de direction se sont concentrés sur des actions d’optimisation classiques, comme la substitution, l’allègement, la recyclabilité, le réemploi…

C’est lors du deuxième tour de créativité que la magie a opérée : l’équipe projet a proposé un concept de produit totalement innovant où l’emballage est presque effacé au profit d’un système de recharge dans des boucles de réemploi par un canal de distribution novateur.

Le Codir avait compris que l’ emballage reste un outil de protection au service d’un produit dans son écosystème de production et commercialisation. L’approche systémique et les principes de l’innovation optimale permettent de réunir les compétences de chacun pour trouver des solutions pour résoudre plus efficacement les défis d’aujourd’hui et vivre mieux demain. Il conviendra toutefois de valider par une évaluation environnementale de tous les critères que cette solution va réellement dans le sens du mieux. 

Pour l’anecdote, la mission n’a pas été signée avec mon prospect. J’aurai au moins planté une graine. En espérant qu’elle germe rapidement, le temps presse..

Maintenant, c'est à vous.

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